Sur la scène, un grand coffre, un énorme coffre qui pourrait contenir des merveilles ou un homme qui en sortirait d'un bond... Mais, pour l'instant, l'homme qui apparaît à son tour s'approche de l'avant-scène sans en être sorti.

Il est grand, presque dégingandé. On pense d'emblée à Jacques Tati. Au coin de son oeil, une lueur, une flamme. Il est souriant mais timide. Le voilà qui s'affuble d'une espèce de moustache... Non, ce n'est pas tout à fait ça. C'est une queue de chat qui va faire office de moustache et dépasser largement son nez...

Car Pieter De Buysser se présente comme le chat de Schrödinger "dont il est prouvé scientifiquement qu'il était aussi mort que vivant quand il fut enseveli dans un cercueil contenant de l'acide prussique".

C'est sur cette incertitude que s'ouvre donc ce spectacle philosophique, poétique... et politique. Et tout ça sans jamais être ennuyeux, verbeux, oiseux. Rien en "eux", et tout en "é" comme légèreté, beauté.

Pieter De Buysser va dès lors emmener ses écouteurs attentifs vers une destination que n'auraient pas dédaigné tous ces merveilleux surréalistes belges, tous ces modestes et admirables descendants de Raymond Roussel.

Pour cela, il va lui suffire d'ouvrir sa grande boîte en forme de coffre, d'ouvrir l'un de ses tiroirs ingénieux, pour faire partager son rêve gentiment philosophique, hautement poétique et souverainement politique à ceux qui auront vaincu leur réticence et l'auront suivi dans une utopie qui aura bien vite franchi les frontières d'airain du monde actuel.

Entre colère et humour, sagesse et déraison, Pieter De Buysser n'oublie jamais qu'il est un chat qui voit les Indignés manifester, les livres brûler, les banquiers profiter et les humains, les vrais humains, s'enfuir, s'évanouir, tenter de se serrer les uns contre les autres là où n'ira pas les traquer le désordre libéral. Pieter De Buysser parle de "gérilleros de l'omission" de gens qui s'extraient de ce monde bavard, de sa censure subtile où pour taire la parole on ne la supprime pas mais on la multiplie, la subdivise, la rend idiote sous une cacophonie de points de vue.

Il parle beaucoup, Pieter, mais il laisse soudain son interlocuteur récupérer analyser ses paroles dans un silence sans compromis pendant lequel il en profite pour en revenir à son coffre, à sa grande boîte de Pandore qui a tout du cabinet de curiosité.

Créé par le plasticien Hans Op de Beeck, son coffre est une énorme pochette-surprise. Pieter De Buysser en extrait des pièces grises, magnifiquement austères, qu'il pose sur la surface des tiroirs ou des compartiments. Il peut ainsi ériger une bibliothèque comme recopier en volume un tableau. Le clou de ses installations malicieuses sera la reconstitution d'une "vanite" avec crâne humain et pots à la Morandi.

Pieter de Buysser fait surgir tout le temps l'inattendu par ses mots comme par ses gestes. C'est un conteur hors pair et un subtil commentateur qui sait raconter le vrai sous la forme de la parabole.

On saura gré à ce néerlandophone d'avoir joué son spectacle en français. Certes, les grognons ont souligné qu'il lisait son texte... Et alors ? Même si les chats, dans son interprétation mot à mot de "Book Burning" (La Mite brûlée), ont tendance à "gongoner", leurs "gongonements" raisonnent au cœur et Pieter De Buysser s'avère un sacré acteur.

On a évoqué la flamme dans son œil, sa bouche qui a parfois le sourire triste. Tout ça n'est rien à côté de ce corps habité par les mots : Pieter De Buysser est chat-rissmatique.

Ceux qui auront vent de sa venue dans leur ville n'auront aucune excuse s'ils laissent passer sans le voir ce grand moment de théâtre total.

Philippe Person