10/05/2010

Dire encore quelque chose de sensé sur la double crise dans laquelle notre pays est plongé, implique décidément de voir en face ce qui sous-tend leur histoire.

Il nous faut mettre à jour l’obscène parallèle entre les balivernes communautaires et les curés pervers. Commençons par les curés. La crise dans laquelle la communauté confessionnelle catholique se retrouve aujourd’hui n’est pas le fait de quelques brebis égarées, elle n’est pas le produit des structures millénaires de l’Église ou la conséquence de règles qui vont à l’encontre de l’humain comme le célibat : non, cette crise dénote d’un problème inhérent à la foi chrétienne. La foi, comme elle est pratiquée depuis des siècles dans les plats pays, a toujours eu un problème avec l’érotisme, et avec l’égalité. Au travers de l’histoire de la chrétienté, cela a plus d’une fois conduit à des formes inhumaines d’oppression. Elles vont de l’inquisition et de la répression des mouvements ouvriers jusqu’au viol brutal des droits fondamentaux de la femme et de l’enfant, encore pratiqué aujourd’hui. La chrétienté a, tout comme l’islam par exemple, enfanté des idées, des œuvres d’art et des philosophies magnifiques, mais il s’agit de dire à un moment donné : ça suffit. Au nom de la doctrine et de la spiritualité chrétienne, on a débité trop d’infamies pour pouvoir prononcer le mot chrétienté sans avoir envie de se rincer immédiatement la bouche. Trop de lait de monsieur le curé colle encore à ce mot. Il est remarquable qu’à l’heure actuelle, aucun être raisonnable ne se proclame gratuitement communiste, par respect fondamental pour les victimes des déraillements totalitaires de ce système.

Pourtant, le communisme, pour autant qu’il se soit monstrueusement fourvoyé, a propagé des idées magnifiques, et engendré des œuvres d’art et philosophies remarquables. Mais la plupart des Flamands trouvent manifestement difficile de remettre sérieusement en question la foi chrétienne. Ils préfèrent la diluer en concepts d’une vague moralité comme l’amour du prochain, ou une sorte cotonneuse de « sentiment spirituel » ou encore, pourquoi pas : « un Dieu personnel ». Autant le mot gagne en dimension éthique, autant il perd de sa précision et de son efficacité. Et pourtant, il n’est pas abandonné. Nous ne le pouvons ni le voulons, parce que la terminologie chrétienne nous mène droit vers nos dark rooms, là où nous nous réunissons sur les voies impénétrables de Dieu, sur la chaussée d’amour, là où nous parlons en chuchotant de nos envies irrésistibles, de la force des rites et du retour au bercail dans la paume de Dieu. Voilà le chez-soi : dans la petite chambre où se réunissent les fidèles et où ils cherchent en tremblant à se consoler des horreurs de ces temps mondialisés ; et dans la petite chambre noire qui la jouxte se réunissent les flamingants, ils bredouillent leurs fables mystiques sur la façon dont l’identité flamande offrira une protection contre des cultures incompréhensibles et contre le barbare monde extérieur, qui affiche souvent une prospérité plus grande et une pauvreté plus triste que chez-nous. C’est ici, dans ces chambres noires, que fleurissent les histoires prémodernes dont la Flandre n’arrive pas à se libérer, car c’est ici que nous est promise la véritable communion, l’union charnelle communautaire. C’est ici que les flamingants se bercent de rêves d’union nationale irrationnelle, et que les chrétiens célèbrent leur union avec l’irrationnel. Deux dérobades au monde. C’est ici que le Flamand se délecte d’histoires savoureuses qui font en sorte qu’il ne peut abjurer la foi chrétienne, et que ces mêmes histoires font passer le pays d’une crise gouvernementale à l’autre. La crise des gouvernements passés n’est pas le fait de quelques ânes bâtés égarés au talent politique lilliputien, elle n’est pas le produit des structures gouvernementales belges surannées, ou la conséquence de règles inappropriées, non, cette crise dénote d’un problème inhérent à la communauté flamande. Celle-ci est en effet poussivement en quête de communauté, elle n’a pas révisé ses histoires prémodernes, elle est au contraire encore, et totalement, sous leur emprise.

On a le gouvernement qu’on mérite. En tant que communauté confessionnelle, on a aussi l’église qu’on mérite, et si elle ne nous plaît pas, abolissons-la ou ignorons-la. Prenons notre sort en main. On appelle aujourd’hui régulièrement à ne pas aller voter. Le vote est l’un des plus importants instruments à notre portée pour participer à la démocratie, je veux donc bientôt aller voter, moi. À moins que nous ne soyons à l’aube d’une révolution, il y a assez de raisons pour en déclencher une… mais en regardant autour de moi, je vois que les plus populaires des amuseurs publics de Flandre en l’an de grâce 2010 sont un juriste ecclésiastique et un nationaliste flamand avec un trouble du comportement alimentaire, et je me dis : voilà des gens avec qui je n’ai pas envie de me lancer dans une révolution.

Donc, je vais voter. Je propose nous donnions vent à notre besoin d’histoires salaces dans les théâtres, les librairies et les cinémas, qui en offrent un large et merveilleux éventail. Et essayons de ne pas laisser ces histoires prémodernes dans les institutions de notre pays, ce pays où une centaine de nationalités, chrétiens, musulmans, agnostiques, athées, juifs, artistes, hérétiques, saints et tout ce qui se trouve au milieu et en dehors, essaient de vivre ensemble. Ma voix ira au parti qui abolira la dotation automatique aux églises et proposera que tout club religieux qui veut organiser une activité ou bâtir une tourelle puisse demander une subvention. Ce parti devrait aussi comprendre qu’un Front Flamand n’a que peu d’impact sur les faits et les gestes de Goldman Sachs. Je ne sais pas si ce parti existe déjà, mais si l’heure d’inventer de nouvelles histoires et de nouveaux mouvements n’a pas sonné, il ne nous reste qu’à couper le courant, et nous nous retrouverons, à danser convivialement en rond, sans Lumières.

 Traduction: Monique Nagielkopf